De l’or contre la mort
Article mis en ligne le 21 mars 2008

Deux tonnes d’or, 4000 objets : découverte presque intacte en 1922, la tombe de Toutankhamon a révélé des rituels funéraires que l’on ne connaissait que par les textes et les peintures. Décryptage.

« L’instant décisif était arrivé. Les
mains tremblantes, je pratiquai une petite ouverture dans le coin supérieur gauche [...] J’y plaçai une bougie [...] D’abord, je ne vis rien ; l’air chaud qui s’échappait de la chambre faisait clignoter la flamme. Puis, à mesure que mes yeux s’accoutumaient à l’obscurité, des formes se dessinèrent [...] : d’étranges animaux, des statues, et partout le scintillement de l’or...
 » [1]

En ce 24 novembre 1922, après cinq longues années de recherches infructueuses, Howard Carter vient de découvrir le trésor funéraire de Toutankhamon. La Vallée des Rois, que l’on pensait avoir livré tous ses secrets, révélait la première tombe de pharaon inviolée. Ou presque. Car - l’archéologue s’en rend vite compte - le petit roi n’a pas été épargné par les pilleurs. Des indices - ouvertures descellées, coffrets au sceau brisé, retrouvés vides... - révèlent que sa tombe a été visitée deux fois, sans doute peu après l’inhumation. Une écharpe en tissu contenant des bijoux est même retrouvée dans le couloir, montrant que le voleur a été pris la main dans le sac. Après cela, les administrateurs de la nécropole rangent succinctement les objets et rescellent l’entrée qui sera bientôt enfouie et protégée pour 3000 ans par les gravats de la tombe de Ramsès VI, creusée juste au-dessus.

En dépit de ces effractions, la sépulture livre un incroyable trésor : 4000 objets, deux tonnes d’or. Le tout entassé dans quatre pièces aux dimensions modestes : une antichambre de moins de 30 mètres carrés, derrière laquelle s’ouvre une annexe, la chambre funéraire d’environ 24 m2 et une petite salle, dite du trésor, où se trouvaient notamment les précieux vases canopes contenant les viscères du roi . Il faudra dix ans à Howard Carter pour exhumer, nettoyer et enregistrer toutes les pièces. Un travail qu’il effectue avec une ténacité et un soin remarquables à cette époque où les fouilles sont peu professionnelles. Caner se contente de recenser sans avoir vraiment le temps de comprendre leur sens.

Pour la première fois, pourtant, un sépulture apporte des données sur les coutumes funéraires de l’ancienne Egypte. Elle présent en trois dimensions des rituels connaissait que par les textes et les peintures.

La salle du sarcophage, qui n’a pas boulversée par les pilleurs, se révèle particulièrement passionnante. Elle montre une véritable volonté d’organisation. Le sarcophage royal était entouré de quatre chapelles en bois doré. emboîtées comme des poupées gigognes. « Entre la première et la seconde, se trouvait une sorte d’armature de bois couverte par des résidus de tissu. En étudiant cet étrange dispositif, nous avons immédiatement pensé au dais sous lequel opère Anubis, le dieu embaumeur, tel qu’il est peint dans nombre de tombres. »

Par ailleurs, aux angles sud-ouest et nord-ouest de la salle, étaient figurés deux emblèmes du dieu funéraire, des peaux d’animaux enroulées autour d’une hampe. Et dans le passage menant à la salle du trésor, un naos, portant un chacal couché, lui était consacré. Il contenait des objets liés à l’ouverture de la bouche, cérémonie au cours de laquelle sont redonnés souffle et vie au mort. Comme si on ravait voulu recréer, autour de la momie du pharaon, une sorte d’atelier semblable à celui de l’embaumeur divin.

La pièce du sarcophage était, de plus, orientée par la disposition d’objets symboliques déposés au sol, le long du mur nord : un groupe formé d’un pylône et d’une chapelle marquait l’horizon est, un autre avec deux chapelles l’horizon ouest ; entre les deux, s’alignaient onze rames, celles de la barque qu’emprunte le Soleil durant son périple nocturne. Le dispositif évoque un mouvement, un voyage vers l’ouest, vers le monde souterrain, où le défunt, comme le soleil, se régénère avant de
renaître.

On s’est souvent demandé si la tombe de Toutankhamon pouvait être considérée comme représentative des inhumations pharaoniques de l’époque. Il semble que non. Car cette petite sépulture, où le roi aurait été enseveli à la va-vite parce que mort prématurément, n’a pas été préparée pour un souverain. « Elle a la forme typique d’une tombe privée, souligne Susanne Bickel, spécialiste de la religion à l’Institut d’égyptologie de Bâle : une petite pièce avec descenderie, à laquelle on aurait ajouté, en la transformant à toute vitesse en tombe royale, la salle du sarcophage. » Cette salle a été décorée de peintures directement réalisées sur la roche, sans enduit ni relief. « Les scènes peintes ne sont pas typiquement royales, poursuit Susanne Bickel, en dehors d’un groupe de douze babouins acclamant le soleil qui provient du livre de l’Amdouat. Ce livre funéraire, apparu dans les tombes royales à la XVIIIe dynastie, décrit le voyage du Soleil durant les douze heures de la nuit. Là s’agit seulement d’une évocation de la première heure, comme pour se rattacher tout de même à la tradition des tombes royales". »

Pourtant, les objets déposés dans la sépulture semblent, eux, bien caractéristiques des mobiliers funéraires pharaoniques. « Beaucoup correspondent aux vestiges retrouvés, épars, dans d’autres tombes, notamment celle d’Aménophis II et ses centaines de fragments », confirme André Wiese. Ce qui semble nouveau, en revanche, dans la tombe de Toutankhamon, c’est la quantité d’or qui s’y trouve. Elle est surchargée de chapelles et de statuettes couvertes de métal précieux, des objets qui étaient plutôt, jusque-là, noircis à la résine. Peut-être une réminiscence de l’époque amarnienne. Car si le noir est symbole de vie et de régénération pour les anciens Egyptiens, il est attaché à Osiris dont le culte a été délaissé sous Akhenaton. L’or est en revanche la couleur du Soleil à son zénith, adoré par le roi hérétique, il éveille de ses rayons le mort à une nouvelle vie. « Toutankhamon, en accord avec les croyances de son prédécesseur, s’est créé un au-delà doré et empli de lumière », conclut André Wiese